Sa mère Saïdâ Aïcha DIANKHÂ dite Astou, décédée en 1938, était une femme très pieuse et vertueuse. Son époux avait prédit : « Cette femme donnera naissance à mon héritier spirituel et il ne peut en être autrement. »
D’ailleurs, dans la préface qu’il a faite à Kâshiful albas ou la levée des équivoques, traité fondamental du soufisme et de la voie Tidjâni écrit en 1931 par Baye, Cheikh Alioune CISSE, disciple, gendre et ci-devant premier imâm de la mosquée de Médina-Baye, relate : « Tout au début de la grossesse d’Aïcha DIANKHÂ, celle-ci vit en songe qu’elle se tenait sur quelque chose, qu’il y avait en-dessous d’elle un puits, quand soudain se fendit la lune venant de l’est et tomba sur elle. Elle eut très peur à son réveil et se confia très tôt le matin à son mari, El Hadj Abdallah NIASS. Ce dernier la calma et la pria de garder le secret …
A la naissance de Baye, son père demanda à sa mère : « as-tu de l’espoir pour ton enfant? » Elle répondit : « oui, j’espère beaucoup de biens en lui, qu’il soit vertueux, pieux, s’il plaît à Dieu. » El Hadj Abdallah renforça : « oui, je l’espère aussi si Allah lui accorde une longue vie.»
El Hadj Abdallah fut initié à la Tidjâniyya par Thierno Mamadou Ibrahima DIALLO, un disciple de Cheikh Omar TÂL tout comme le fut Seydi Alpha Mâyoro WELE, oncle maternel et instructeur d’El Hadj Malik SY.
La première mouture de sa lignée omarienne est la suivante : El Hadj Abdallah NIASS- Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydi Abdoul Karim Ahmad Nagguel ou Nadel DIALLO-Seydi Mawloûd FÂL (1773-1852)-Cheikh Muhammad HAFIZ (1759-1830)-Cheikh Ahmad Tidjâni (1737-1815).
La seconde est : El Hadj Abdallah NIASS-Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydi Muhammad al QÂLI-Cheikh Ahmad Tidjâni.
El Hadj Abdallah prit l’éducation de Baye en main. Il lui enseigna le Coran et les hadiths que le surdoué mémorisa très tôt, puis la Tarîqa Tidjâni et les autres sciences liées à la religion.
Tout au long de son cursus, Baye aura étudié l’exégèse, le droit musulman, l’arabe, la métrique, la rhétorique, la biographie du Prophète (psl) tout en cultivant un goût prononcé pour la mystique islamique ou tasawuf qui, selon Abûl Abbâs Tidjâni « est la pratique des préceptes divins et le renoncement aux intérêts terrestres dans l’apparent comme dans le caché, comme Dieu le veut et non comme tu le veux. »
A l’âge de 21 ans, déjà devenu un érudit accompli à l’heure où ses homologues jouissaient encore de la plénitude de leur jeunesse, Baye publia Rûhul Adab ou l’Esprit de la bonne conduite qu’il considère comme un conseil fraternel destiné à ses lecteurs.
Au total, il laisse à la postérité plus vingt œuvres écrites d’une valeur philosophique, ésotérique et littéraire indubitable dont un poème de 2972 vers intitulé : Taysîr el wusuul Ila hadratu Rasûl ou Moyen d’atteindre facilement l’Apôtre.
Du 09 juillet 1922, date de disparition de son père, à fin 1929, point de départ officiel de sa mission, Baye se mit à l’ombre de Cheikh Mouhamadou NIASS alias Khalifa, son frère aîné, en dispensant des cours dans les écoles coraniques ouvertes par son père à Taïba, Kôssi et Kaolack. Déjà, son érudition lui attira de nombreux adeptes mais aussi une foule d’ennemis.
En fin 1929-début 1930, alors que la crise économique qui venait d’éclater aux Etats-Unis commençait à embraser le reste de la planète, Baye NIASS déclara à la face du monde qu’il était ce saint annoncé par Mawlânâ Cheikh Ahmad Tidjâni comme son héritier et le seul habilité à propager la Faydâ décrite par Abûl Abbâs en ces termes : « l’effluve viendra avec un de mes disciples jusqu’à ce que les hommes entrent dans notre voie (tarîqa) par groupes, par peuples. Cette Faydâ adviendra à un moment où le monde éprouvera de grandes difficultés.»
Selon Baye, « la sagesse de l’apparition de cette Faydâ à cette époque pervertie s’explique par la faiblesse de la foi dans le cœur des hommes et par la multitude des voies perverses et perdantes. Or cette communauté (islamique) est une communauté vénérable (auprès de Dieu) et alors fut ouverte et déversée, vers eux, l’effluve des connaissances gnostiques et des Vérités Essentielles pour qu’ils retournent à la source de la foi naturelle. ».
A l’occasion d’un mawlîd-an-nabi, ou commémoration de la naissance du Prophète Mouhammad (psl), El Hadj Ibrahima NIASS, alors connu sous le pseudonyme d’Ibrâ Asta, déclara : «Que celui qui veut connaître Allah et le çâhibul (détenteur) Faydou me suive, qu’il soit homme ou femme, jeune ou vieux ! »
Les assistants étaient comme interdits. N’ont-ils pas été informés de la mission secrète de Cheikh Abdallah Oud Hajj El Alawi, père de Mishri ? Après avoir testé le jeune Ibrahima, alors âgé de dix ans, le saint homme dit à El Hadj Abdallah :«Ton fils n’a nullement besoin d’être parrainé par une créature car Dieu le très-Haut l’a élu ».
A Baye, il confia : « Une Faydâ te viendra entre les mains en vérité et sans aucun doute ; et si un autre prétend la détenir en ses mains, ce ne sera là que mensonge ; mais tu verras à ton égard de la méchanceté telle qu’aucun de tes prédécesseurs n’en a jamais vu…Tu es le plus grand homme de la voie Tidjâni de tous les temps. » Pour dire que le jeune garçon était celui annoncé par Cheikh Ahmad Tidjâni comme futur réformateur de la Tidjâniyya.
Cheikh Alioune CISSE, Serigne Mbaye NIASS, Cheikh Omar TOURE, Mâme Abdou NIANG, Cheikh Ibrâ FÂL, Cheikh Mahmoud NIASS, Tafsîr Mahmoud DIOP, Serigne Ousmane NDIAYE, Cheikh Omar Thiam dit Baye Mallé à qui notre maître doit son surnom de Baye, mais aussi Thierno Oumar KANE, Thierno Abdallah SÂKHO, Thierno Yahyâ Oumar LY de Saldé, Thierno Madâdo DIATTARA et Thierno Al-Hassan DEME ne se firent pas prier. Ils furent parmi les premiers à avoir répondu à l’appel de Baye qui dut quitter la concession paternelle sise à Leona au mois lunaire chawwal 1349 ou février 1931.
Selon Cheikh Alioune CISSE, Baye transita par Kôssi avant de fonder, entre les lundi 12 et 19 zul-Qâda 1349, soit entre le lundi 30 mars et le lundi 06 avril 1931, la bourgade de Médina où il y érigea une mosquée de 24 m de long sur 14 m de large. En 1958, une première extension est opérée sur les flancs de ce lieu de culte.
Une seconde est réalisée en 1981. Inaugurée officiellement le vendredi 26 février 2010, la grande mosquée de Médina-Baye est haute de 65 mètres correspondant aux neuf étages de son minaret. Ses dimensions actuelles sont de 56m de long et 47m de large. Au centre, une coupole de 25m de long et de 15m de diamètre surplombe les fidèles.
Les disciples affluaient de tous les coins du Sénégal, mais c’est à partir de 1937 que le rythme des adhésions prit une ampleur frénétique. C’est effectivement en 1937 que Cheikh Ibrahim se rendit à La Mecque pour la première fois. De cette date à 1973, il y retournera seize autres fois, soit un total de dix-sept pèlerinages hormis les « oumras » ou pèlerinages surérogatoires.
A l’étape de Fès, Chérif Munîf lui offrit un chapelet et un tapis de prières personnels mais aussi une touffe des cheveux du père de la Tidjâniyya et une fiole où ce dernier mettait du parfum qu’il utilisait au moment de ses retraites dévotionnelles.
A Médina-Mounnawara, Mawlânâ Cheikh Ibrahim NIASS rencontra Abdoullah Ibn Abbâs Bâyero (1881-1953), Emir de Kano de 1926 à 1953 et son ministre Suleyman Ibn Ismaël qui renouvelèrent leur affiliation à la Tidjâniyya auprès de lui. L’Emir l’invita chez lui à Kano. Pour justifier son adhésion, l’Emir confia à Baye : « Quand j’étais enfant, j’avais demandé à Dieu trois choses : être l’Emir de Kano et je le suis ; avoir la possibilité d’accomplir le pèlerinage et je l’ai eue, et, enfin, rencontrer à La Mecque le calife de Cheikh Tidjâni ou son fils pour renouveler mon wird et quand je suis arrivé à Médina-al-Mounnawara, je n’ai trouvé aucun chef de la tarîqa si ce n’est toi ». C’est ainsi que l’Emir pria Cheikh Ibrahim de lui renouveler son wird près du mausolée du Prophète (psl) pour que celui-ci en fût témoin.
Sur le chemin de retour, plus précisément à Fès, Cheikh Ibrahim rendit une visite de courtoisie à Seydi Ahmad el-Hadj al-Ayyashi Soukayridji de Shattâti (1878-1944), le grand Pôle, de qui il tient sa chaîne dorée ou silsilah zahabiya, à savoir : Cheikh Ibrahima NIASS-Cheikh Ahmad Soukayridji-Cheikh Ahmad Abdal Lawiy-Cheikh Aliyu Tamassinyou-Cheikh Ahmad Tidjâni.
Seydi Ahmad Ibrahim Sa’ hi lui fit don de la canne de Mawlânâ Cheikh Ah.Tidjân. Par la suite, à Médina-Baye, Cheikh Ibrahim obtint l’allégeance d’un grand nombre de disciples de qualité dont des shorfas ou oulémas maures tels Cheikh Muhammad Ould Nahwi, Cheikh Mana Abba Ould Tolba dit Cheikhâni (1908-1986), Cheikh Mouhammad Mishri Oud Hajj (1917-1975) Cheikh Sîdy Abdallah Ibn Khaïry, Cheikh Abdallah el Djeydjibi, Cheikh Hadi Ould Seydi, Cheikh Mouhamadou Jakanni, Cheikh al-Oustâz Mouhamadou Ould Rabbani… qu’il initia par le biais de la tarbiyya en vue de parvenir à la mârifa. Ce fut le début de son irréversible aura transnationale.
En 1945, Cheikh Ibrahima NIASS fit un bref séjour au Nigéria et y éleva au rang de mouqaddam (préposé) l’Emir et ses 40 ministres dont Malam Jibirma, Malam Atiku, Malam Tidjâni Uthman, Malam Sani Kafanga, Abdallahi Salga et Uthman Khalan Sawi. Ce geste galvanisa les disciples nigérians et le mouvement né en 1937 commença à s’amplifier.
Baye revint dans ce pays à la fin de la Deuxième guerre mondiale et, sous sa bannière, des centaines d’oulémas adhérèrent à la Tidjâniyya. Ses nouveaux et prestigieux disciples se lancèrent à l’expansion de la confrérie dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Quand, en 1953, disparut l’Emir, son fils et successeur Muhammad Sanusi (1900-1963), devint le porte-flambeau du mouvement qu’il renforça par le recrutement de milliers de disciples. Déjà en 1956, au Nigéria, 15 millions de fidèles se réclamaient de l’obédience d’El Hadj Ibrahima NIASS. Aujourd’hui, de par le monde, ils sont quelque 100 millions, soit 7 % de la population musulmane mondiale estimée aujourd’hui à 1,4 milliard d’adeptes, toutes écoles confondues.
Outre le Nigéria, le Bénin, le Cameroun, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, la Mauritanie, le Niger, la Sierra-Léone, le Soudan, le Togo et le Tchad, d’autres pays et régions du monde ouvrirent leurs portes à la Faydâ et, ipso facto, de son temps, Baye devint le chef spirituel musulman dont l’audience est la plus large et la plus solide.
C’est la confirmation d’une prédication faite par son père qui, dans une parabole restée célèbre, à propos de l’enfant prodige, avait soutenu: « C’est le devoir d’un fleuve que d’être plein à déborder. Si les vaches du voisinage ne viennent pas s’y abreuver, celles venues d’ailleurs le feront.» Quelle clairvoyance ! Et le fruit a pu passer la promesse de la fleur.
De nos jours, à l’occasion des grandes rencontres, plus d’une vingtaine de nationalités se côtoient à Médina-Baye. Ce sont entre autres : Haoussa, Yorouba, Djema, Bambara, Dogomba, Fra-fra, Malinké, Peul, Maure, Soninké, Wolof, Sérer, Mossi, Arabe, Berbère, Soudanais, Soussou, Dogon, Diola, Dioula, mais aussi Américains, Chinois, Japonais, Français, Anglais, Pakistanais et même des Russes. Ces bienheureux disciples de Baye sont tous des « récipients débordants des secrets des trois présences.»
Dans sa générosité incommensurable, Cheikh Ibrahim a prié le tout Miséricordieux de ne lui choisir comme compagnons que les meilleurs des meilleurs musulmans possibles ; d’où cette supplique : «Mon Dieu, ne fais pas de l’écorce de la religion la part de mes amis, mais plutôt le secret du secret, c’est-à-dire l’essentiel de Tes hauts dons». Le culte de la perfection n’a jamais cessé d’être son credo : « khirlî sahbân fudala wa khirlî, min kulli seïn khaïra-hû wa kunlî » ; autrement dit, « choisis pour moi les meilleurs compagnons et, de toute chose, choisis pour moi la meilleure et sois toujours pour moi ».
De plus, le Cheikh a raccourci et aplani le chemin qui mène ses disciples à Allah, aussi a-t-il écrit: « J’ai raccourci pour chacun de mes disciples dans l’Unicité
J’ai réduit l’ensemble des prières de toutes les créatures et j’ai raccourci pour chacun de mes disciples, dans l’Unicité d’Allah, le chemin qui mène à l’amour immense que j’ai pour l’Envoyé de Dieu Ahmad, la moralité immanente…
J’ai synthétisé l’ensemble des connaissances des connaissant par Dieu et réduit le chemin qui y mène du goût et de la sensation que j’ai eus de l’odeur du Prophète (sas) à qui appartient la sincérité…
J’ai facilité l’ensemble des poèmes laudateurs dans lesquels j’ai résumé et loué Celui qui est la forme du O (ha) du secret de l’ipséité de Dieu, de celui qui est l’Esprit du détenteur de la permission, de la substance et de la moralité immanente. »
Pour résumer, Baye rappelle : « Dieu m’a créé uniquement pour résoudre les problèmes parce qu’Il m’a confié le secret des secrets. » En ce sens, il a recommandé à ses disciples de s’approprier les voies et moyens à même d’aider l’âme à se purifier de la « rouille qui ternit le miroir du cœur» et qui l’empêche de refléter la Vérité.
Chaque semaine Baye avait coutume de lire trois fois le Coran en entier ; de plus, les versets que, de mémoire, il psalmodiait le matin, il les récitait seul le soir et au cours des prières surérogatoires nocturnes. Et aucune maladie, si grave soit-elle, ne perturbait cette habitude.
Du reste, l’Egyptien Muhammad al-Hafiz at.-Tidjâni, le plus grand connaisseur de hadiths de son temps, qualifie Baye de Houdja (la Preuve), c’est-à-dire celui qui connaît à fond trois cent mille hadiths, leurs explications et leurs chaînes de transmission depuis le Prophète Mouhammad (sas).
Cet homme multidimensionnel qui depuis qu’il atteint trente ans n’a plus dormi plus de deux heures par jour, a participé à tous les débats relatifs à l’islam agités au Sénégal et ailleurs.
El Hadji Ibrahima Niasse:
Par exemple, en 1953, Monseigneur Lefebvre (1905-1991) alors évêque de Dakar (1955-1962), dans un numéro d’Ecclésia, s’était permis de faire la leçon aux musulmans africains en écrivant : « Ou l’Afrique suivra ses aspirations profondes de simplicité, d’honnêteté, de religion et elle se fera catholique ou sous des dehors religieux, elle se confirmera dans ses vices de polygamie, de domination du faible, de superstitions et elle s’abandonnera à l’islam… Seule la religion catholique prescrit aux inférieurs le respect de l’obéissance… »
Monseigneur Lefebvre récidiva le 18 décembre 1959 en s’épanchant dans La France Catholique : « … On a lancé des phrases qui portent à la révolution : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à l’indépendance (…) la mainmise de la Russie et de la Chine sur l’Afrique devient de jour en jour une réalité ! Chose inattendue pour ceux qui connaissent mal l’islam. Ce sont les pays en majorité musulmane qui se détachent le plus rapidement de l’Occident et font appel aux méthodes communistes… ».
Mgr Lefebvre quitta l’Eglise catholique en 1970 et fut définitivement excommunié en 1988.
Lors de la construction de la Kaaba, au XIXème siècle avant Jésus-Christ, pour prendre de la hauteur, Seydinâ Ibrahim et son fils Seydinâ Ismaël avaient dû monter sur une pierre où le père du monothéisme laissa l’empreinte de ses pieds : c’est le Sanctuaire ou Maqâm d’Ibrahim.
En 1963, les autorités saoudiennes et un parterre d’ulémas réunis à La Mecque pensèrent devoir déplacer le sanctuaire. Dans un discours intitulé Sabilou Salam fi ibqa il Maqâm ou, emprunter la voie de la paix en laissant le Maqâm là où il est, Baye NIASS manifesta vigoureusement son opposition à ce qui aurait été un sacrilège. Son argumentaire pesa plus lourd que les justifications martelées par les savants présents au colloque. Et, contre toute attente, le Maqâm resta à sa place.
En vertu de la réforme constitutionnelle intervenue en Tunisie le 1er juin 1959, le Président Habib Ben Ali BOURGUIBA entama la désacralisation de l’islam par l’interdiction de la polygamie et la légalisation de l’avortement…
Plus grave, en février 1961, BOURGUIBA appela ses concitoyens à ne pas observer le jeûne du ramadan afin, disait-il, de mieux combattre le sous-développement…
En mars 1964, en plein jour du ramadan, pour narguer l’humanité musulmane, l’écervelé président but ostensiblement à la télévision un verre de jus d’orange ! C’en était trop. Baye NIASS adressa une lettre de protestation à la hauteur de l’affront fait à l’islam en fustigeant énergiquement les élucubrations d’un Président possédé par le démon.
En 1969, lorsqu’il fut informé de la reproduction d’une caricature du Prophète Mouhammad (sas) dans un livre d’histoire à l’usage des classes de 5èmes des collèges d’Afrique francophone, le Cheikh-al-islam exigea le retrait du manuel et, en ces termes, il écrivit au ministre de l’Education nationale : « Un tel livre dénote un mépris, une provocation à la population musulmane au moment où le Sénégal a le plus grand besoin d’ordre et de paix pour permettre à sa population de vivre et de travailler dans le calme et la sécurité.»
En 1971-1972, lors des discussions sur le Code de la famille, l’attitude de Baye de défenseur des valeurs cardinales de l’islam, ne varia guère ; il y affirma: « En ce qui concerne les affaires temporelles, le gouvernement peut en légiférer librement. Mais pour ce qui est de la religion, surtout dans un pays musulman, aucun gouvernement n’a le droit d’en délibérer… J’avais ajouté que les musulmans n’ont rien d’autre que leur religion et qu’il faudrait veiller scrupuleusement à ce qu’il n’y ait dans ce Code aucune disposition contradictoire avec la charia…»
Plus loin Baye renforça: «Nous avons discuté avec les plénipotentiaires de l’Etat. Nous ne pouvons les obliger à faire quoi que ce soit. Et eux qui nous gouvernent ne peuvent pas être en conflit avec nous ; c’est pour quoi ils nous consultent. Eux, non plus, ne voudront jamais faire quelque chose qui nous pousserait à être en conflit avec eux. »
Mawlânâ Cheikh Ibrahima NIASS a bien marqué son époque par la profondeur de son savoir, ses prises de position intelligentes et courageuses, sa forte personnalité. Dans un discours prononcé à l’occasion du mawlîd-an-nabi de 1968, son vibrant appel fait à la jeunesse de son pays restera à jamais gravé dans nos mémoires. Nous en citons un bref passage : «Chers jeunes, en avant ! Certes l’avenir de toute nation repose sur sa jeunesse, mais pas n’importe quelle jeunesse : sur les jeunes cultivés et doués de caractères nobles ; une jeunesse sans culture et sans caractères nobles est comme un arbre stérile…
Appliquez-vous sérieusement et persévérez dans la quête du savoir. Ne suffisent pas seulement les sciences religieuses ou la mathématique dans ses diverses branches ; rejoignez les chercheurs préoccupés par la découverte des secrets de l’Univers ; collaborez avec eux ! »
Cheikh Ibrahim a fortement encouragé l’éducation des femmes et ses filles ont fréquenté les mêmes écoles religieuses que les hommes et mémorisé le saint Coran. Aussi a-t-il affirmé : « En matière de connaissances, les femmes devraient rivaliser avec les hommes. »
Pour le triomphe exclusif de l’islam, en 1958, il préconisa la fondation d’un Conseil supérieur des chefs religieux du Sénégal, projet vite torpillé par ses adversaires intra-muros.
En 1960, Baye NIASS fut élu membre du Conseil supérieur de l’Organisation du Bien-être islamique au Caire, puis membre de l’Académie de Recherches de l’Université d’Al-Azhar, de la Communauté des érudits en islamologie et du Conseil islamique supérieur de l’Algérie.
En 1962, il fut promu vice-président du Congrès mondial islamique à Karachi, puis membre du Comité chargé de l’élaboration du Projet de la Ligue mondiale islamique, à la fondation de laquelle il fut élu vice-président.
En 1964, il fut porté à la tête du Congrès mondial islamique tenu à Karachi ; il est élu membre de la Conférence générale de l’Académie de recherches islamiques sise au Caire.
En 1966, il participa à la conférence tenue à Accra sur « le monde sans bombe atomique. »
En 1969, il prit part à l’Assemblée Constituante de l’Association des Universités islamiques à Fez et en devint membre du Comité exécutif.
Cheikh-al-islam ou Abal Faydou-Tidjâni-Rabbani a ainsi joué un rôle prééminent dans tous les conflits intéressant l’islam ou les pays d’obédience islamique ; y confère ce témoignage d’Ina moullah KHAN, ancien Secrétaire général du Congrès mondial islamique : « Baye NIASS, le grand missionnaire qui est vénéré par ses admirateurs est parfaitement conscient du danger que représente la pénétration d’Israël dans cette Afrique en voie de développement. En plusieurs occasions, il a eu à mettre en garde ses frères africains contre cette menace au monde musulman et à la paix internationale. C’est parce qu’il croit fermement en la fraternité de tous les musulmans… »
Par rapport à la politique, Baye aurait déclaré : « l’islam est un tout ; ce serait un non sens pour des citoyens que de se désintéresser de la politique… D’ailleurs le Prophète (psl) était un chef d’Etat qui assumait, à la fois, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. »
En réalité, si les bons musulmans boudent la politique, les infidèles et les hypocrites s’y activeront sans vergogne pour pouvoir subjuguer les justes, et partant, porter atteinte aux fondamentaux même de l’islam . Cas de Kamal Atatürk, Bourguiba et consorts.
Il est vrai, comme le dit l’adage, que nul n’est prophète chez soi. Sur le plan politique stricto sensu, l’influence de Baye NIASS aura été plus remarquable sur ses contemporains des autres pays africains, notamment nigérians, tchadiens, ghanéens…
Au Sénégal, aux côtés de Djim Momar GUEYE, El Hadj Ibrahima NIASS a pris faits et causes pour la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) au détriment du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) du duo SENGHOR-Ibrahima Seydou NDAW. Grisé par l’éclat de son leadership, ce dernier défia publiquement Baye ; ce qui poussa le marabout à réagir vertement en disant: « Concernant Ibrahima Seydou NDAW, je le corrigerai à la hauteur de son impertinence et de son arrogance, sans jamais lever physiquement la main sur lui. »
El Hadji Ibrahima Niasse:
Le 3 septembre 1948, de retour d’une réunion du Grand Conseil de l’AOF tenue à Saint-Louis les 1er et 2, le véhicule à bord duquel Léon Boissier-Palun (1916-2007) et Ibrahima S. NDAW avaient pris place fit un tonneau à hauteur d’Alou Kâgne… Ibrahima Seydou NDAW en fut projeté ; il fut atteint d’une paralysie à vie. Comme un malheur ne vient jamais seul, le jour de la catastrophe, par suite de couches, Aïda NDAW, sa fille aînée, décéda à Kaolack. Latif Coulibaly, in Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie, L’Harmattan, 1999, pages 29-31,
Aux élections de 1951, face à Léopold SENGHOR, Baye porta son choix sur Lamine GUEYE dont il était pourtant convaincu de la défaite. Il soutint que sa conscience de musulman conséquent ne pouvait lui permettre de préférer un Léopold à un Mouhamadou Lamine.
«Le 24 janvier 1959, l’Assemblée législative du Sénégal adopta la Constitution de la Fédération du Mali et celle du Sénégal. Quelques jours plus tard, El H. Ibrahima NIASS télégraphia au général de GAULLE pour protester contre le fait que les Constitutions n’avaient pas été soumises au référendum. » De Benoît. Joseph R., l’AOF, NEA, 1994, p 447.
Toutefois, il convient de préciser que Cheikh Ibrahim n’était pas un politicien dans le sens intrigant donc péjoratif du terme. Loin de là, mais plutôt un homme politique soucieux de la prise en charge effective des desiderata des populations, plus particulièrement de ceux de la majorité silencieuse. Aussi devait-il être perçu comme le mégaphone de la vox populi, c’est-à-dire la voix du peuple brisé, du peuple contrebalancé entre la tyrannie coloniale et les mystifications des politiciens professionnels.
D’ailleurs, le Docteur Amar SAMB, ancien directeur de l’IFAN, le considère comme « un polémiste de combat, un défenseur acharné de l’islam, un esprit pétri de culture arabo-musulmane, un marabout très informé des choses de la chrétienté, un chef religieux qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui sait d’où vient l’asservissement des Africains en particulier et des faibles en général, un Africain patriote qui sait que la domination d’un peuple par un peuple n’a pas de lendemain… »
Dans le même sillage, nous rappelons le témoignage fait sur Baye par Mouhammad at.-Tâhir al-Maygari in : as.-Shaykh Ibrahim NIASS al-Singhâli, hayâtuhu wa arâ’ühu wa taa’limâtuhû ou Cheikh Ibrahim le Sénégalais : sa vie, ses idées et ses enseignements, Dar al-Arabiyy, Bayrût, 1979, page 253…
Quoique un de ses plus farouches contradicteurs, al-Maygari a eu tout de même l’honnêteté intellectuelle de témoigner : « Il n’y a aucun doute que Cheikh Ibrahima NIASS a déjà prouvé, par ce livre (Kitâbu sirri al-Akbar Wan-Nuri al-Akbar ou le livre du plus grand secret et de la lumière éclatante), qu’il est le maître incontesté des gnostiques de son époque, plus particulièrement dans la târiqâ Tidjâniyya, puisque personne n’a pu apporter quelque chose de semblable à ce qu’il a livré… Personne non plus n’a pu rivaliser avec lui dans ce domaine, ni dans la Tidjâniyya, ni ailleurs… Presque tous les disciples Tidjâni, dans toutes les contrées, se sont soumis à son autorité, se sont placés sous son magistère spirituel, apprirent de lui et puisèrent de sa science… Ceci n’est pas limité à ses frères noirs, loin s’en faut, mais les hommes de couleur blanche dont les grands parents furent par ailleurs les maîtres des maîtres du Cheikh lui-même : ce sont ses plus ardents disciples et, par la suite, ceux qui ont le plus profité de sa science. Ils le suivirent avec une sincérité totale dans l’obéissance et dans un amour absolu.»
Nonobstant sa haute stature mondiale, ses responsabilités religieuses supranationales, les relations cordiales qu’il entretenait avec les grandes figures de son époque et les nombreuses citations honorifiques dont il pouvait se prévaloir, El Hadj Ibrahima NIASS a préféré passer toute sa vie dans une modeste bâtisse en pisé alors qu’il lui aurait suffi de lever le plus petit doigt pour qu’on lui eût édifié des gratte-ciel. Quelle humilité !
Tel se présentait El Hadj Ibrahima NIASS, Barham ou Baye, que, à juste raison, le Président SENGHOR considérait comme l’Ambassadeur plénipotentiaire du Sénégal auprès du monde ; lui, militant et pionnier de l’intégration africaine, lui qui n’accepta jamais de courber l’échine.
Lui, sentinelle de la bonne cause et protecteur des valeurs morales traditionnelles et religieuses mais aussi des couches vulnérables. Que celles-là fussent seulement sénégalaises, africaines ou, plus largement, citoyennes du monde.
Les nombreux périples du saint homme dont (conformément à un hadith relatif à la quête du savoir) celui qui le conduisit en Chine en octobre 1963, et le télégramme de félicitations que, par le biais de l’ambassade des Etats-Unis à Dakar, il adressa au Président Richard NIXON après l’alunissage avéré d’Apollo XI le 20 juillet 1969 (alors que la plupart des marabouts d’ici et d’ailleurs n’en croyaient ni leurs oreilles ni leurs yeux), l’illustrent éloquemment.
Du reste, la Philosophie de Cheikh Barham Abdallah fondée sur une compréhension aiguë du Coran, de la Sunna du Prophète Mouhammad (psl) et de la pratique éclairée de la Tarîqa tidjâne, a préfiguré la mondialisation.
Le Cheikh al-Islam (titre qui lui a attribué en 1971à l’Université Al Hazar) El Hadj Ibrahima NIASS fut rappelé à Dieu à Londres le 17 rajab 1395, soit le samedi 26 juillet 1975. Il avait 74ans 8 mois et 18 jours.Selon Matrib as Sa-mi-Nin wa nâzirin fi manâqib as Shaykh Seydi Abdallah bin Seydi Mouhammad wa Aba ihî at.-tâhirin, livre écrit en 1315 H, soit en 1897 G, par Seydi Mouhammad ibn Abdallah bun Seydi Mouhammad bun Mouhammad as-Saghîr Mbuuja al-Alawi at.-Tichili, El Hadj Abdallah NIASS, le père de Baye, est né le 3 zul qâda 1264, soit le lundi 02 octobre 1848 à Belly et il est décédé le dimanche 9 juillet 1922 à 73 ans, 9 mois et 6 jours.
D’ailleurs, à maintes reprises et plus exactement lors de l’inauguration de la zawiya rénovée de Leona-niassène, Baye a affirmé que son vénéré père est né dans l’année du décès de Mouhamdi Ould Seydinâ dit Bédi, c’est-à-dire en 1264 H, donc 1848.
Subséquemment à cette nouvelle donne chronologique, toutes les autres dates afférentes à la naissance d’El Hadj Abdallah NIASS Kabîr précédemment avancées doivent être considérées comme nulles et de nul effet. Ainsi, comme il l’avait prédit dans une de ses lettres rédigées vers 1931, c’est-à-dire 45 ans avant sa disparition effective, Baye a vécu plus longtemps que son père. C’est là un des nombreux miracles dont ce saint hors-pair aura été l’auteur.