figure intellectuelle de la Tyjannya sénégalaise En Novembre 1992 je vins d’arriver en tant que fulbright à Michgan State University et j’assistai pour la première fois à une conférence d’African Studies Association (ASA) à Seattle Washington. Un débat qui faisait fureur chez les Africanistes américains avait trait à l’ouvrage de Jean Boyd , The Caliph’s sister. Nana Asma’u (1793-1965). Teacher, Poet and Islamic leader. Wiltchire 1989. Nana Asma’u, née vers 1793 fut la fille de Shehu Dan Fodio (m en 1917, il fut prédicateur, djihadiste, homme pieux et engagé, auteur d’un ouvrage de référence Ihya al- Sunna) et la sœur jumelle de Muhammad Bello (mort en 1837). Le Calife de Sokoto appartient à une longue tradition familiale de filles éduquées ; d’ailleurs Dan Fodio signifie le lettré, l’éduqué. La mère de Dan Fodio, père de Nana Asma’u ainsi que sa grand mère maternelle furent aussi des lettrées. Pourquoi ce livre de Boyd avait fait l’objet de tant de discussions? Parce que les années 90 s’ouvrirent autour d’un sujet de discorde entre l’Occident et le monde musulman sur les droits de la femme. Trouver une figure comme celle de Nana’ Asma’u confortait les tenants de la thèse sur l’existence de droits que le Coran et la Sunna conféraient à la femme, un pas décisif vers l’égalité homme/femme.
A partir de ce moment, il n’est plus question d’éloigner la femme du savoir islamique puisqu’assujettie à des périodes d’impureté. Ainsi l’accès à la connaissance devient un enjeu primordial chez la femme musulmane et a ce titre la figure de Nana Asma’u, sœur jumelle du Calife de Sokoto, enseignante, poétesse et leader dans sa communauté est en est une illustration parfaite. Durant ces années, de nombreuses études furent menées sur les pratiques des femmes en Islam, leur éducation, les droits de la femme, le Coran et les femmes, les femmes prédicatrices…Ainsi avions nous exploré à partir d’une démarche anthropologique, l’expérience de Ndiaye Mody Guirandu. Là, nous tenons à nous arrêter un instant sur Hajja Roqyah Niass qu’on peut parfaitement comparer à Nana Asma’u. Moins bien connue au Sénégal que sa sœur Sayyida Mariama Niass car elle fut souvent envoyée enseigner, par son père dans les pays comme le Ghana et le Nigéria. Nous avons fait sa connaissance pour la première dans des circonstances assez particulières. En effet, du 07 au 10 février 2015, nous fûmes invitées dans le cadre du Forum international sur les violences faites aux femmes, par l’ancien Président des Etats Unis d’Amérique Jimmy Carter (1977-1981) et sa fondation, à Atlanta où elle fit une intervention axée sur l’éducation des filles en tant que fondatrice du centre Annadja de Kaolack. Nous y fûmes présentes avec la juriste Dior Fall Sow et la Présidente de Femmes Africa Solidarité, Bineta Diop. Nous voyagions par le même vol de South Africa Airlines avec son fils qui l’accompagnait. Dès notre arrivée à l’aéroport d’Atlanta, nous comprîmes que nous avions affaire à un grand guide religieux par l’afflux des talibés ( des Sénégalais établis aux USA mais aussi des Africains Américains) et la relation de déférence qu’ils établirent avec elle. A cet instant, elle nous apparut comme un guide charismatique tel que le définissent Donald Criuse Obri’en et Christian Coulon dans leur célèbre ouvrage, Charisma and brotherhood in african islam. Oxford 1988.
Un fait très intéressant que partage Hajja Roqya avec sa sœur Sayyida Mariama demeure le rôle des fils auprès de leur mère, figure tutélaire. Une relation intéressante entre une femme et un homme, ce qui nous semble relever d’une dimension négro-africaine de l’Islam. Elles sont secondées par leurs fils qui organisent, gèrent leurs activités et jouent le rôle de chambellans de leur mère, etc. Pour revenir à Hajja Roqya, elle est née en 1931. Après avoir mémorisé le Coran sous la direction de son père Shaykh Ibrahima Niass (décédé en juillet 1975), elle se mit à l’enseignement et à l’écriture. Ainsi, elle publia son premier ouvrage en 1958 sur le réveil des femmes africaines et la nécessité de les rétablir dans leurs droits. Avant Fatima Mernissi qui a soutenu sa thèse sur le même thème et en tira un livre retentissant intitulé le Harem politique. Le Prophète et les femmes. Paris, Albin Michel 1987. Mais puisque Hajja écrit en Arabe avec des traductions en Anglais, elle reste très peu connue du mouvement féminin sénégalais et souvent des personnalités de la trempe sont rangées dans la catégorie prédicatrices et on oublie qu’il existe de véritables intellectuelles qui écrivent dans différentes langues; ce qui nous pousse, d’ailleurs à écrire cet article pour attirer l’attention des jeunes générations de chercheurs à s’intéresser à elle. Évidemment, les Nations Unies ont souvent fait appel à elle pour un éclairage sur le thème « femme et Islam » ; elle a eu aussi à donner de nombreuses conférences de par le monde. Le chercheur américain Rudolph Ware dans son livre « Walking Qur’an’ ou la marche du Coran lui a consacré un chapitre et son livre. Quant à son ouvrage « The rights of women in Islam » il est traduit de l’Arabe vers l’Anglais par Muhammad Hani (New york 2006). Dans ce livre que nous avons le plaisir d’avoir lu, elle y traite du « respect de la femme en Islam », dans une perspective comparatiste en jetant un coup d’œil sur ce qui se passe dans différentes aires géographiques, l’obligation d’éduquer la femme, les devoirs de la femme dans la sphère domestique, de l’éducation des enfants et des relations entre époux, etc. Même si les sources premières pour Hajja Roqya restent le Coran et la Sunna, néanmoins dans ses écrits, on retrouve beaucoup de références scientifiques. On est aussi frappé par sa méthodologie et sa vaste culture islamique. Mais nous pensons que Hajja Roqya a bénéficié d’une solide tradition intellectuelle qu’on retrouve chez les Tidjanes Niassènes de Kaolack. Cette branche de la Tydjanya sénégalaise s’est structurée certes autour de la culture islamique mais aussi de la culture haussa voire anglo-saxonne. Ousmane Kâne dans Islam et sociétés au Sud du Sahara (3, 1989) rappelle fort à propos que la ‘Tijaniyya Ibrahimiyya’, a connu son expansion au Nigéria septentrional et plus spécialement dans ce qui constitue aujourd’hui l’Etat de Kano, où le Shaykh de son vivant disposait du plus grand nombre de ses disciples. Les successeurs du chef religieux sénégalais et ses disciples nord-nigérians ont pu maintenir leurs contacts à travers des relations économiques informelles et géopolitiques. En outre, les liens entre Kano et Kaolack sont maintenus à travers de nombreux mariages. Nous pensons, pour conclure que les écrits de Hajjah Roqya Niass méritent d’être traduits en Français et les médias sénégalais ont le devoir de la rendre plus accessible. Car si les hommes de Madina Baye sont connus et respectés, les filles de Shaykh Al Ibrahima Niass ont elles aussi beaucoup participé au rayonnement de son héritage et à le perpétuer. Safya devra nécessairement figurer au Panthéon des études islamiques au Sénégal.
Penda Mbow, historienne