La voix du peuple brisé, contrebalancé entre la tyrannie coloniale et les mystifications de politiciens professionnels en mal d’audience
«Le 24 janvier 1959, l’Assemblée législative du Sénégal adopta la Constitution de la Fédération du Mali et celle du Sénégal. Quelques jours plus tard, El-Hâdj Ibrahima NIASS télégraphia au général de GAULLE pour protester contre le fait que les Constitutions n’avaient pas été soumises au référendum. » De Benoît. Joseph R., l’AOF, NEA, 1994, p 447.
En vérité, le grand marabout de Kaolack s’offusquait plutôt de la laïcité affichée par la Constitution du jeune État sénégalais malgré le poids de ses 95% de musulmans.
Aucun de ses homologues guides religieux ne voulut, au risque de se faire rudoyer par la minorité chrétienne et ses suppôts francs-maçons alors très présents dans les sphères politico-administratives du pays, défendre officiellement ce point de vue. Ceux qui lui manifestaient leur sympathie en privé finirent par raser les murs ! Mais, malgré tout, Baye NIASS ne baissa jamais la tête.
Aux élections législatives frauduleuses du 22 mars 1959, avec 83% des suffrages exprimés, l’UPS remporta la totalité des 80 sièges. Le Parti de la Solidarité Sénégalaise créé en 1957 par Cheikh Tidjâne SY al-Maktum, Ibrahima Seydou NDAW et Baye obtint 12% des suffrages et le PRA, 5%.
Toutefois, il convient de préciser que Cheikh Ibrahîm n’était pas un politicien dans le sens intrigant du terme. Loin de là, mais c’était plutôt un homme politique soucieux de la prise en charge effective des desiderata des populations, plus particulièrement de ceux de la majorité silencieuse. Aussi devait-il être perçu comme le mégaphone de la vox populi, c’est-à-dire la voix du peuple brisé, du peuple contrebalancé entre la tyrannie coloniale et les mystifications de politiciens professionnels en mal d’audience.
D’ailleurs, le Docteur Amar SAMB, ancien directeur de l’IFAN, le considère comme « un polémiste de combat, un défenseur acharné de l’islam, un esprit pétri de culture arabo-musulmane, un marabout très informé des choses de la chrétienté, un chef religieux qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui sait d’où vient l’asservissement des Africains en particulier et des faibles en général, un Africain patriote qui sait que la domination d’un peuple par un peuple n’a pas de lendemain… »
Dans le même sillage, nous rappelons le témoignage fait sur Baye par Mouhammad at-Tâhir al-Maygari in : as.-Shaykh Ibrahîm NIASS al-Singhâli, hayâtou houwarâ’Ouhouwatâ’limâ touhoû ou Cheikh Ibrahîm le Sénégalais : sa vie, ses idées et ses enseignements, Dâr al-Arabiyy, Beyrout, 1979, page 253…
Quoique un de ses plus farouches contradicteurs, al-Maygari a eu tout de même l’honnêteté intellectuelle de témoigner : « Il n’y a aucun doute que Cheikh Ibrahima NIASS a déjà prouvé, par ce livre (Kitâbou sirri al-akbarwan-noûri al-akbar ou le livre du plus grand secret et de la lumière éclatante), qu’il est le maître incontesté des gnostiques de son époque, plus particulièrement dans la târiqâ tijâniyyâ, puisque personne n’a pu apporter quelque chose de semblable à ce qu’il a livré…
Personne non plus n’a pu rivaliser avec lui dans ce domaine, ni dans la Tidjâniyyâ, ni ailleurs… Presque tous les disciples tidjânes, dans toutes les contrées, se sont soumis à son autorité, se sont placés sous son magistère spirituel, apprirent de lui et puisèrent de sa science…
Ceci n’est pas limité à ses frères noirs, loin s’en faut, mais les hommes de couleur blanche dont les grands parents furent par ailleurs les maîtres des maîtres du cheikh lui-même : ce sont ses plus ardents disciples et, par la suite, ceux qui ont le plus profité de sa science. Ils le suivirent avec une sincérité totale dans l’obéissance et dans un amour absolu.»
source : faydatidianiya.com