Le soufisme en tant que complément du fiqh: Quiconque n’a pas un maître, le diable est son maître
D’habitude, les ouvrages de fiqh débutent par des études sur la purification rituelle (At-Tahârah) ; mais ils traitent rarement des sens cordiaux qui doivent accompagner cet acte. Ensuite, ils traitent de la prière : ses conditions, ses piliers, ses obligations, ses actes surérogatoires, les règles de bienséance qui la concernent, les choses détestables susceptibles de l’entacher, et les choses qui l’invalident. Mais, ils ne traitent guère des significations intérieures qui doivent l’accompagner : la componction, les voies qui y mènent et les facteurs qui la favorisent. Or, il s’agit là d’une science à part entière comme en témoignent les textes. Il s’agit même de la première science à être retirée de la terre, comme en atteste le hadîth.
Quelle est donc cette science qui complète la science du fiqh dans ces domaines ? Nul doute qu’il s’agit de la science du tasawwuf. C’est la science qui s’intéresse habituellement à ces aspects. C’est elle qui complète la science du fiqh dans les domaines intérieurs, comme par exemple la science de la sincérité et la voie qui y mène. C’est même cette science qui développe la disposition de l’homme à s’attacher aux jugements du fiqh car l’engagement de l’homme ne devient complet que lorsque son cheminement spirituel s’achève. Partant de là, les Imâms du cheminement spirituel abordent les notions de l’extinction de soi (al-fanâ’) dans les œuvres de Dieu, de l’extinction dans Ses Attributs, de l’extinction dans Son Être – autant de sujets que nous examinerons – et enfin de l’extinction dans les lois (ahkâm).
Le fruit normal de la connaissance gustative d’Allâh – Exalté soit-Il – est l’attachement complet aux lois. Ainsi comprenons-nous l’égarement de certains faux prétendants au tasawwuf, lorsqu’ils considèrent que le cheminement vers Allâh va de paire avec le désengagement de Ses lois. Comment pourrait-il en être ainsi alors qu’Allâh – Exalté soit-Il – dit à Son Messager – paix et bénédictions sur lui : « Puis Nous t’avons mis sur la voie de l’Ordre. Suis-la donc et ne suis pas les passions de ceux qui ne savent pas. » [1] ? C’est la raison pour laquelle Al-Junayd dit, à propos de gens ayant considéré que parvenir à Allâh les autoriserait à se désengager des jugements de la sharî`ah : « Certes, ils sont parvenus, mais à l’Enfer. » De même, dans le passé, les juristes disaient : « Quiconque s’initie au fiqh sans s’initier au tasawwuf tombe dans la perversion. Et quiconque s’initie au tasawwuf sans s’initier au fiqh tombe dans l’hérésie. Quiconque allie les deux atteint la vérité. » Le tasawwuf est donc indispensable pour compléter le fiqh, et le fiqh est indispensable pour gouverner le tasawwuf et pour orienter et diriger les œuvres. Quiconque passe à côté de l’un de ces aspects aura manqué la moitié de l’affaire…
Le tasawwuf et le fiqh sont deux sciences complémentaires, lorsqu’on les oppose telle est véritablement l’erreur, l’égarement, ou encore la déviance. Ce que l’on entend par opposition ici, c’est le fait que le soufi parte loin du fiqh, alors que le fiqh est son gouvernail, ou que le juriste s’écarte de l’application car telle est la corruption du coeur. Le juriste se doit de s’initier au tasawwuf de même que le soufi se doit de s’initier au fiqh, l’objectif étant que le savoir du juriste comprenne ce qui touche aux lois et également ce qui touche à la voie de la mise en oeuvre et de l’accomplissement, et que le savoir du soufi comprenne les lois qui lui sont nécessaires, et que tout ceci soit accompagné par une œuvre correcte à la lumière d’une science authentique.
C’est pourquoi les grands Imâms du cheminement spirituel, comme le Sheikh Ar-Rifâ`î, disent : « La finalité des savants et des soufis est la même. » Nous tenons ce propos ici parce que certains ignorants se réclamant du tasawwuf lancent à la figure de tout un chacun la phrase : « Quiconque n’a pas un maître, le diable est son maître. » Ce propos est tenu par un soufi ignorant appelant à son maître ignorant, comme il est tenu par un soufi ignorant appelant à son savantissime maître, et à tort lorsque le propos n’est pas placé à bon escient. Celui qui n’a pas de maître est l’individu ignorant qui ne s’instruit pas et refuse toute instruction. Un tel personnage a pour maître le diable. Quant à celui qui avance à la lumière de la science, ses guides sont la science et la loi.
Parmi les règles citées par Sheikh Zarrûq dans son livre Qawâ`id At-Tasawwuf (Les règles du tasawwuf) figure le besoin d’un maître pour l’aspirant. Il dit à ce sujet : « La piété ne nécessite pas un maître car elle est claire. » Il dit également : « Le livre suffit à la promotion du doué mais ce dernier n’est pas à l’abri de sa propre bêtise. » L’essentiel est donc la capacité de l’individu à apprendre, suivie du cheminement à la lumière de la science… Tel est le minimum qu’Allâh exige de Ses serviteurs. Ceci peut se vérifier chez un individu capable d’apprendre et de comprendre par des lectures personnelles dans les ouvrages reconnus et authentifiés, tout comme il peut puiser auprès d’un savant pratiquant, fût-il communément qualifié de soufi ou non, et nous y reviendrons. Nous souhaitions simplement le rappeler et le répéter plus d’une fois. Revenons maintenant à notre propos. Le tasawwuf et le fiqh sont deux sciences complémentaires. Elles sont toutes les deux nécessaires à chacun, en notant bien que les besoins des uns et des autres varient. L’approfondissement de ces sciences ou l’une d’elle est une obligation de suffisance communautaire (fard kifâyah) et est souhaitable pour tout musulman. Ainsi avons-nous défini, dans ces quelques lignes, l’un des champs principaux de la science du tasawwuf.
Source: Faydatidianiya.com